Le rôle essentiel du carbone bleu

Le rôle essentiel du carbone bleu

Si la séquestration du carbone est souvent associée aux forêts terrestres, on omet la plupart du temps de souligner le rôle tout aussi vital des écosystèmes marins et côtiers. Mangroves, herbiers marins et marais salés constituent d’immenses puits de carbone, dont le rôle est crucial dans l’atténuation du réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité.

Matthieu Duault

Matthieu Duault

Climate Copywriter

Mise à jour :
22/2/2024
Publication :
14/2/2024

Lorsque l’on parle carbone et réchauffement climatique, nous sommes souvent enclins à penser au rôle essentiel des forêts dans la séquestration du carbone et à réfléchir aux moyens de contrer les menaces qui pèsent sur ces écosystèmes. Pourtant, sur une planète recouverte à 72% d’eau, les écosystèmes marins et en particulier les littoraux ont un rôle au moins équivalent, sinon plus important, à celui des écosystèmes terrestres dans la séquestration du carbone.

C’est dans cette perspective que nous allons parler ici du rôle essentiel du carbone bleu.

Qu’est-ce que le carbone bleu ?

Le terme "carbone bleu" fait référence à la capacité des écosystèmes océaniques et côtiers, tels que les mangroves, les herbiers marins et les zones humides côtières, à stocker et à fixer le carbone de l'atmosphère et des océans. Ces écosystèmes agissent comme des puits de carbone, contribuant ainsi à atténuer les effets du changement climatique. Elles transforment le dioxyde de carbone en biomasse au moyen de la photosynthèse et en séquestre dans les sédiments. Ce carbone est majoritairement issu de la décomposition des matières organiques (plantes, animaux en décomposition…).

Les mangroves, par exemple, sont des écosystèmes côtiers composés de plantes qui vivent dans des zones intertidales. Ces zones humides agissent comme des réservoirs de carbone, stockant le dioxyde de carbone (CO2) de l'atmosphère et aidant à prévenir son accumulation, contribuant ainsi à la réduction de l'effet de serre.

Les écosystèmes de carbone bleu fournissent en parallèle de nombreux services écosystémiques en matière de biodiversité et de protection des littoraux.

L'utilisation du terme "carbone bleu" met en avant l'importance de la conservation et de la restauration des écosystèmes côtiers dans le cadre des stratégies de lutte contre le changement climatique.

Les 3 types d’écosystèmes blue carbon

Il existe 3 grands types d’écosystèmes permettant de stocker du carbone bleu. Ils sont répartis sur l’ensemble des littoraux du globe terrestre à l’exception de ceux de l’antarctique.

Répartition des écosystèmes de carbone bleu à travers le monde
Répartition des écosystèmes de carbone bleu à travers le monde (Source : Blue Carbon Initiative) 

Les herbiers marins

Les herbiers marins ou prairies marines sont constitués d’algues et de plantes marines non vasculaires. Ils se retrouvent dans les zones côtières peu profondes où la lumière du soleil peut pénétrer suffisamment pour permettre la photosynthèse.

Essentielles à la survie de nombreuses espèces, les herbes marines sont à la fois un habitat pour de nombreuses espèces marines et une source d’alimentation. Leur rôle est également important dans la stabilisation des fonds marins ainsi que dans l’oxygénation et la purification de l’eau et la prévention de l’érosion côtière en réduisant la vitesse des courants marins. Elles sont par ailleurs en mesure de stocker 2 fois plus de carbone que les forêts terrestres.

Bien que ne représentant que 0,2% de la surface océanique, on estime que les herbes marines stockent plus de 10% du carbone océanique. Leur surface diminue de 1.5% par an et elles ont perdu à ce jour près de 30% de leur surface mondiale.

Les mangroves

Principalement présents dans les zones tropicales et subtropicales, ces écosystèmes, situés dans les zones côtières abritées, sont constitués de plantes et d’arbres, dont le fameux palétuvier, parfaitement adaptées aux eaux saumâtres des zones intertidales.

Elles disposent d’une capacité à stocker le carbone 4 à 5 fois supérieure à celle d’une forêt. Un hectare de mangrove peut stocker jusqu’à 3 754 tonnes de carbone (Unesco). La majorité du carbone stocké par les mangroves se situe dans leurs sols (83%), le reste étant stocké dans la biomasse des arbres constituant la mangrove. Au-delà de leur utilité en matière de séquestration du carbone, les mangroves servent également d’abri à de nombreuses espèces et ont un rôle clé dans la filtration de l’eau et la protection du littoral contre l’érosion et les intempéries.

Au rythme actuel, la surface occupée par les mangroves diminue de 2% chaque année. On estime que les activités humaines ont entraîné la destruction de 30% de leur superficie initiale. Leur capacité d’absorption de CO2 est telle que l’on estime que la destruction des mangroves est responsable de 10% des émissions de CO2 liées à la déforestation alors même qu’elles ne couvrent que 0,7% de la surface terrestre.

Les marais salés

Les marais salés ou schorres sont des zones intertidales situées le long des côtes et majoritairement présents dans les zones tempérées du globe. Ces zones humides sont caractérisées par la présence d'eau salée provenant de l'océan ou de la mer, mélangée à de l'eau douce provenant de cours d'eau, de rivières ou de lacs.Ils sont souvent sujets aux marées, subissant donc un niveau d’eau et de salinité variable. Ils sont constitués de plantes halophiles, c’est-à-dire adaptées aux milieux à forte salinité.

Tout comme les mangroves, ces marais littoraux sont un formidable réservoir de carbone, tant dans la biomasse que dans le sol et ont un rôle essentiel dans la protection des côtes, la préservation de la biodiversité (notamment pour les oiseaux migrateurs) et la filtration de l’eau.

Les marais salés disparaissent de 1 à 2% chaque année. S’ils couvrent encore 140 millions d’hectares à travers le monde, ils ont déjà perdu plus de la moitié de leur surface historique.

Pourquoi est-ce que le carbone bleu est si important ?

Le carbone bleu a un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique. Sa capacité de stockage du carbone organique est sans commune mesure avec celle des autres écosystèmes présents sur la planète.

La grande majorité de ce carbone se trouve dans les sédiments, jusqu’à 6 mètres sous terre, et est donc stockée à très long terme. Par ailleurs, le taux d’enfouissement du carbone dans les sédiments est jusqu’à 55 fois plus rapide que celui des forêts tropicales humides.

On estime aujourd’hui que les écosystèmes de carbone bleu couvrent 49 millions d’hectares et stockent entre 10 450 et 25 070 millions de tonnes de CO2 dans le seul premier mètre de sol (Ramsar).

La préservation de ces zones humides est donc nécessaire :

  • pour atténuer les effets du changement climatique liés aux émissions anthropiques
  • pour protéger ces immenses stocks de carbone séquestrés au sein de la biomasse et des sédiments

La destruction des écosystèmes de carbone bleu a donc un effet dévastateur sur le climat. Elle empêche l’absorption de CO2 par ces écosystèmes et pire encore, peut entraîner la libération de milliards de tonnes de carbone supplémentaires dans l’atmosphère, accélérant de fait le réchauffement climatique.

Au-delà de leur rôle crucial dans le stockage du carbone, ces écosystèmes sont également essentiels pour l’environnement de par leurs nombreux services écosystémiques :

  • Ils contribuent de manière significative à la protection de la biodiversité marine et terrestre en servant d’abri, de zone d’alevinage, de réserve de nourriture
  • Ils permettent de lutter contre l’érosion des côtes et protègent les littoraux contre les intempéries
  • Ils filtrent l’eau et préservent donc sa qualité
Services écosystèmiques du carbone bleu
Services écosystèmiques liés au carbone bleu (Source : The Blue Carbon Handbook - Ocean Panel)

Des écosystèmes menacés

La prise de conscience de l’importance de ces écosystèmes dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’atténuation de ses effets est relativement récente.

Entre-temps, ceux-ci ont été et sont toujours victimes des activités humaines et des conséquences du changement climatique, accentuant leur vulnérabilité.

Malgré le lancement de nombreux programmes de préservation, la dégradation des écosystèmes de carbone bleu se poursuit et la surface qu’ils occupent continue de se réduire.

L’une des premières causes de la dégradation de ces écosystèmes est l’eutrophisation causée par les activités humaines et notamment certaines pratiques agricoles. La multiplication des algues dans les milieux marins entraîne l’asphyxie des écosystèmes de carbone bleu.

Ces écosystèmes sont présents sur les espaces maritimes où l’activité humaine est la plus dense et a donc le plus d’impact.

La pollution des eaux et les aménagements côtiers font aussi partie des principales sources de destruction des écosystèmes de carbone bleu côtiers.
Les herbiers sont également victimes du chalutage ou de l’ancrage des bateaux de pêche ou de plaisance. 

A cela s'ajoutent les catastrophes naturelles dont le rythme et la puissance sont amplifiées par le réchauffement climatique : sécheresses, tempêtes, montée des eaux…

Selon la Blue Carbon Initiative, c’est entre 340 000 et 980 000 hectares d’écosystèmes de carbone bleu qui disparaissent chaque année. Nous aurions déjà perdu a minima 67% des mangroves, 35% des marais salés et 29% des herbiers marins. Or comme nous l’avons dit, ces dégradations nuisent non seulement aux capacités de stockage de carbone mais entraînent également des émissions nettes de carbone et autres gaz à effet de serre.

Un intérêt grandissant pour le carbone bleu

L’océan et ses écosystèmes sont étonnamment longtemps restés en dehors des accords climatiques internationaux. C’est la COP26 avec l’Accord de Glasgow qui a finalement acté l’importance de la protection des océans dans la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement de manière plus générale. Depuis, de nombreux pays ont intégré la protection de l’océan et de ses écosystèmes dans leur politique environnementale et ont pour cela mis en place différents projets de contribution carbone.

La prise de conscience de l’importance du carbone bleu va de pair avec la mise en place de projets de préservation qui permettent de générer des crédits carbone dédiés.
La capacité de stockage à très long terme de gigantesques quantités de carbone par ces écosystèmes couplée à leur rôle crucial pour la préservation de la biodiversité a entraîné un intérêt manifeste pour ces projets et permet donc de financer plus aisément leur développement.

La France, dans le cadre de son label bas-carbone, a ainsi intégré des méthodes visant à labelliser et donc financer des projets de protection et restauration des mangroves et des herbiers de posidonie, particulièrement menacés dans le bassin méditerranéen.

La Blue Carbone Initiative, une coalition pour protéger le carbone bleu

De nombreuses initiatives internationales sont nées au cours des dernières années pour alerter sur les risques qui pèsent sur ces écosystèmes et engager des actions concrètes visant à les protéger. 

L’Unesco, l’IUCN (International Union for Conservation of Nature) et l’ONG Conservation International ont fondé la Blue Carbon Initiative. Cette coalition a pour objectif de :

  • Développer et promouvoir la connaissance scientifique sur le carbone bleu
  • Contribuer à des projets de restauration et de protection des écosystèmes de carbone bleu à travers le monde
  • D’accompagner les institutions dans la mise en place de politiques de protection et de restauration de ces écosystèmes

L’Unesco comptabilise déjà dans son patrimoine mondial marin au moins 21% de la superficie mondiale des écosystèmes de carbone bleu, permettant ainsi de mieux protéger ces zones bénéficiant d’un statut spécial.

écosystèmes de carbone bleu des sites du du patrimoine mondial de l’UNESCO
Réserves en mégagrammes de carbone stockées par les écosystèmes de carbone bleu des sites du du patrimoine mondial de l’UNESCO sur une échelle logarithmique (Source : “UNESCO Marine World Heritage: custodians of the globe’s blue carbon assets”)

En rassemblant des acteurs variés (gouvernements, ONG, instituts de recherche…), cette coalition vise à coordonner les efforts internationaux menés en faveur du carbone bleu et à promouvoir l’importance de cette ressource dans l’atténuation du changement climatique et la protection de la biodiversité tout en impliquant les différentes parties prenantes dont les communautés locales, lourdement impactées par la destruction de ces écosystèmes.

Parmi leurs principales missions nous trouverons la comptabilisation, pour chaque pays, des stocks de carbone séquestrés et émissions générées par les écosystèmes à carbone bleu, l'amélioration de gestion des écosystèmes de carbone bleu dans les zones marines et côtières protégées et le développement de projets de contribution carbone.

Sources : 

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