Les obligations vertes, avenir de la finance durable ?

Les obligations vertes, avenir de la finance durable ?

L’émission d’obligations vertes par les Etats et entreprises est en plein essor. Cet outil au service de la finance durable représente de grandes opportunités pour les émetteurs et les investisseurs. Cette croissance s’accompagne de premières régulations, notamment dans l’Union européenne, permettant de mieux cadrer ce qui peut être considéré comme “vert”.

Matthieu Duault

Matthieu Duault

Climate Copywriter

Mise à jour :
7/12/2023
Publication :
14/11/2023

Dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, la Commission européenne a annoncé vouloir mobiliser près de 1 000 milliards d’euros d’ici 2030 pour accompagner la politique de transition environnementale européenne. Son objectif est de réduire les émissions européennes de GES de 55% par rapport à leur niveau de 1990 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Ce plan de financement fait appel à des fonds publics et privés. Parmi ces 1 000 milliards d’euros, l’UE souhaite émettre 250 milliards d’euros d’obligations vertes d’ici 2026 via son programme NextGenerationEU.

Mais les obligations vertes n’ont rien de nouveau, ni de spécifiquement européen. Elles existent depuis le début du XXIe siècle. Même si elles ne portaient pas encore le nom d’obligations vertes, on considère que les premières d’entre elles ont été émises en 2001 par la ville de San Francisco pour financer un projet d’électricité solaire.

Comment fonctionnent-elles ? Quel est leur rôle dans le cadre du financement de la transition environnementale européenne et mondiale ? Comment savoir si une obligation verte est réellement verte ? 

Les obligations vertes, qu’est-ce que c’est ?

Tout d’abord, rappelons ce qu’est une obligation.

Il s’agit d’un titre de créance émis par les entreprises ou les États et échangé sur les marchés financiers. Il permet à ces acteurs d’emprunter de l’argent auprès d’investisseurs particuliers ou professionnels pour rembourser leurs dettes ou investir dans de nouveaux projets.

Les investisseurs sont rémunérés via le versement d’intérêts jusqu’à remboursement de l’argent investi. La part de risque (et de rémunération) étant inversement proportionnelle à la qualité de son émetteur et donc à sa capacité à rembourser l’investisseur au terme de la durée de vie du contrat entre l’émetteur et l’obligataire.

Les obligations vertes fonctionnent sur le même principe que les obligations classiques mais ont vocation à financer des projets de l’économie durable. Elles sont aujourd’hui considérées comme l’un des principaux vecteurs de financement des investissements durables par les entreprises et les Etats et connaissent un véritable essor depuis les Accords de Paris de 2015.

Qui peut émettre des obligations vertes ?

Les obligations vertes peuvent être émises par une large variété d’acteurs : entreprises publiques ou privées, Etats, collectivités, institutions internationales…

Les premières obligations qui portaient le nom d’obligations vertes ont été émises en 2007 par la banque européenne d’investissement suivies en 2008 par la Banque Mondiale.

Du côté des Etats, la France et la Pologne ont été précurseures en la matière en émettant leurs premières obligations vertes souveraines en 2017 pour financer leur transition vers une économie bas carbone. Aujourd’hui, ce sont plus de 62 pays à travers le monde qui ont émis des obligations vertes souveraines et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

La répartition des émissions par catégorie d’émetteurs est très variable d’une année sur l’autre bien que les Etats mènent encore la course en tête. En 2022, le secteur public représentait 39% des émissions, les acteurs financiers 32% et les entreprises 29%.

Un marché en plein essor

L’émission d’obligations vertes est en plein essor. De nombreux acteurs y voient une opportunité pour financer une transition écologique coûteuse mais également une réponse aux exigences de plus en plus fortes des investisseurs en matière de durabilité de leurs investissements.

Au 1er janvier 2023, elles auront permis de lever plus de 2 500 milliards de dollars à travers le monde et, malgré une légère perte de vitesse en 2022 causée par la crise et l'inflation, son volume cumulé de fonds levés croît à un rythme soutenu. Les obligations durables (obligations vertes, obligations sociales et sustainability linked bonds) représentent à ce jour environ 7% du marché obligataire mondial.

Évolution des montants d’émissions annuels d’obligations vertes par continent (source : Climate Bonds Initiative)

Elles sont également un moyen pour beaucoup de pays de répondre aux objectifs de développement durable fixés dans le cadre des Accords de Paris de 2015. Nous voyons ainsi de plus en plus de pays émergents émettre des obligations vertes souveraines pour financer leur transition énergétique parmi lesquels l’Inde, les Fidji, l'Egypte, la Thaïlande, le Mexique... Le record étant le Chili qui a émis pour près de 34 milliards de dollars d’obligations vertes souveraines.

La France n’est pas en reste. Elle était en 2022 le plus gros émetteur mondial d’obligations souveraines, ayant levé plus de 42 milliards d’euros depuis le lancement, en 2017, de sa première OAT (Obligation assimilable au Trésor) verte.

L’Union européenne de manière générale est la plus grosse émettrice d’obligations vertes au monde, représentant à elle seule 43% des obligations vertes émises dans le monde à ce jour. Preuve de leur succès, en Europe, les titres durables représentaient en 2022, 25% du volume des nouvelles émissions en euros.

Une régulation toujours en cours

L’essor des obligations vertes au cours des dernières années a généré différentes dérives dans l’usage de ces titres financiers. Si leur nombre a explosé, leur fiabilité s’est révélée également de plus en plus variable.

Certaines obligations vertes n’ont de vert que le nom. En effet, jusqu’à ce jour, la définition de ce qu’était une obligation verte dépendait essentiellement de son émetteur qui pouvait donc jauger de manière totalement subjective ce qu’était un projet “vert”. C’est ainsi que certaines obligations ont pu servir à financer des pistes aéroportuaires à Hong-Kong. 

Concernant les obligations souveraines, la responsabilité sociale et environnementale de certains pays émetteurs pose aussi souvent question, comme l’Arabie Saoudite ou la Russie.

Les possibilités de contrôle de l’usage des fonds et de la durabilité réelle des projets financés restent réduites, mettant à mal la crédibilité de ces obligations vertes.

Certains États, notamment dans l’Union européenne, ont commencé à réguler l’appellation d’obligation verte mais sans pour autant se coordonner. De nombreuses législations coexistent donc selon les pays et, dans un contexte de marché financier totalement mondialisé, des obligations vertes s’échangent sans avoir la même définition ni les mêmes contraintes et obligations.

Plusieurs initiatives ont donc été mises en place, depuis la création d’institutions comme la Climate Bond Initiative, de labels, tel que le label ISR et enfin de régulation commune comme vient tout juste de le faire l’Union européenne.

La Climate Bonds Initiative

La Climate Bonds Initiative est un organisme non-gouvernemental qui vise à promouvoir et accompagner le développement des obligations vertes à travers le monde. Elle compte parmi ses bailleurs de fonds des fondations, organismes publics et privés mais également les Nations Unies.

La Climate Bonds Initiative a été le premier organisme à mettre en place un système de certification s’appuyant sur une taxonomie permettant d’identifier les obligations réellement “vertes” et donc de lutter contre le greenwashing.

Elle travaille au côté des Etats, acteurs financiers et investisseurs au développement d’un cadre favorable à l’émission d’obligations vertes et à leur promotion.

Activités et missions de la Climate Bonds Initiative

Selon la Climate Bonds Initiative, il faudra mobiliser 5 000 milliards de dollars par an à partir de 2025 pour pouvoir lutter efficacement contre les risques liés au changement climatique et atteindre l’objectif de limitation du réchauffement à 1.5 degrés fixé par les Accords de Paris, soit près de 10 fois le montant actuel levé via l'émission d’obligations vertes chaque année.

Obligation verte et taxonomie européenne

Depuis les Accords de Paris, l’Union européenne a mis en œuvre une politique active de développement de la finance durable dans le cadre du Pacte Vert pour l’Europe.

Le développement de la taxonomie verte et la mise en application de la SFDR en ont été les premiers jalons. L’objectif premier était d’améliorer la transparence des entreprises sur leurs activités et celle des stratégies d’investissement des acteurs financiers.

La question des obligations vertes est devenue prégnante au fur et à mesure de leur développement croissant au sein des différents pays de l’UE, qu’il s’agisse de l’émission d’obligations souveraines ou d’obligations vertes provenant d’institutions ou d’entreprises privées. Les émissions d’obligations vertes font par ailleurs partie du plan de financement du Pacte Vert européen, notamment via le programme NextGenerationEU qui a pour objectif d’atteindre un montant d’émissions de l’ordre de 250 milliards d’euros à l’horizon 2026.

L’intérêt d’une telle législation est d’harmoniser les réglementations existantes et de permettre aux investisseurs d’avoir une grille de lecture commune en ce qui concerne les obligations vertes. L’Union européenne étant le premier émetteur mondial de ce type de titres de créance, il lui fallait être en mesure de l’encadrer afin de fournir une définition claire de ce qui était considéré comme “vert”.

Le 5 octobre 2023, les députés européens ont adopté la première proposition de règlement traitant des obligations vertes. Elle doit maintenant être examinée par le Conseil de l’UE.

Cette réglementation associe l’émission d’obligations vertes à la taxonomie européenne qui classifie les activités en fonction de leur “durabilité” selon une liste de critères stricts. Elle permettra ainsi aux investisseurs de s’assurer que les obligations émises soutiennent des projets considérés comme verts par la taxonomie.

L’objectif est donc de créer un cadre favorable à l’émission de ces obligations et d’accompagner leur forte croissance. Cette norme restera facultative pour les émetteurs mais permettra d’attester formellement de la durabilité des projets financés. Elle sera également ouverte aux émetteurs provenant de pays hors UE souhaitant bénéficier du cadre offert par cette réglementation.

Pour bénéficier de l’appellation EuGB (EU Green Bonds), une obligation devra répondre à plusieurs critères : 

  • l’intégralité des fonds devra financer un projet considéré comme durable au sens de la taxonomie européenne
  • les émissions seront contrôlées par un examinateur externe, enregistré auprès de l’ESMA (Autorité européenne des marchés financiers)
  • les émetteurs seront soumis à une liste d’obligations déclaratives

Conclusion

Les obligations vertes sont un outil efficace au service du développement de la finance durable à travers le monde. Elles peuvent être un excellent moyen de mobiliser de nouveaux fonds au service de la transition écologique des Etats et des entreprises, comme le prouve leur succès auprès des économies émergentes.

Le processus de régulation en cours au sein de l’Union européenne va permettre de mieux encadrer ce marché en plein essor et rassurer les investisseurs sur la durabilité des projets financés via ces titres de créance.

Néanmoins, malgré le succès grandissant des obligations vertes depuis les Accords de Paris, leur croissance est encore trop faible à ce jour pour fournir les fonds nécessaires à ce projet d’ampleur. Il faudrait aujourd’hui multiplier par 10 leur quantité d’émissions. La mise en place progressive d’un marché favorable à leur développement à l’international doit prendre en compte dès maintenant la nécessité d’accélérer leurs émissions à grande échelle.

Sources : 

  • “Finance durable : où en sont les obligations vertes européennes ?”, Actu-Juridique.fr, 10/10/2023
  • “Mot de l’Actu - Obligation verte”, Banque de France, mars 2022
  • “Les obligations vertes”, WWF
  • “How green are green bonds ?”, Natixis Investment Managers, 24/03/2023
  • “High-flying greenwashing around a new green bond for Hong Kong Airport”, Reclaim Finance, 04/01/2023
  • “Green bonds face new questions over authenticity”, Financial Time, 29/11/2021
  • “Sustainable Debt Market - Summary H1 2023”, Green Bonds Initiative, août 2023
  • “$500bn Green Issuance 2021: social and sustainable acceleration: Annual green $1tn in sight: Market expansion forecasts for 2022 and 2025”, Green Bonds Initiative, 31/01/2022
  • “Next GenerationEU: La Commission européenne lance avec succès la première émission d'obligations vertes pour financer une reprise durable”, Commission européenne, 12/10/2021
  • “Les emprunts « durables » représentent un quart des émissions obligataires en Europe”, Les Echos, 21/11/2022
  • “Green, Social, and Sustainability (GSS) Bonds - Market Update - January 2023”, La Banque Mondiale, janvier 2023
  • “De l'Inde à l'Indonésie, les obligations vertes aident les pays à prendre le virage du développement durable”, La Banque Mondiale, 10/04/2023
  • “Obligations vertes européennes: le Conseil adopte un nouveau règlement visant à promouvoir la finance durable”, Conseil européen, 24/10/2023
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