Comment exploiter une Courbe des Coûts Marginaux d’Abattement ?

Comment exploiter une Courbe des Coûts Marginaux d’Abattement ?

La Courbe des Coûts Marginaux d’Abattement s'impose comme l'outil d'analyse financier indispensable de toutes les parties prenantes qui s'attaquent réellement à la décarbonation de leur activité ou de leur portefeuille d'investissement.

Thomas Charoy

Thomas Charoy

Consultant climat

Mise à jour :
6/2/2024
Publication :
30/11/2022

De la mesure carbone au financement nécessaire des actions de réduction

Beaucoup d’entreprises qui s’engagent pour le climat se contentent aujourd’hui de mesurer leur empreinte carbone. Cette première étape est nécessaire mais reste insuffisante pour s'assurer de la résilience de l'entreprise dans le contexte d'une transition bas-carbone.

Une fois les principaux postes d’émission identifiés, comment établir un plan de décarbonation efficace ?
Comment identifier les actions les plus pertinentes ?
Et surtout, comment anticiper les moyens financiers à débloquer pour mettre en œuvre son plan d’action ?

Une stratégie climat réussie passe donc par l’implication de toutes les parties prenantes d’une entreprise et notamment sa direction financière, car tout changement représente soit un coût, soit une opportunité d’économies. Il est donc primordial de traduire l’impact des actions de décarbonation en termes financiers, et de rendre cette information accessible au plus grand nombre.

Un outil pratique peut être mis à disposition des décideurs : la Courbe des Coûts Marginaux d’Abattement, souvent abrégée MACC, pour Marginal Abattement Cost Curve.

Mais que se cache-t-il derrière ce nom un peu barbare ?

Exemple d'une Marginal Abatement Cost Curve dans Traace

Qu’est-ce que le Coût d’Abattement Marginal ?

Le coût d’abattement marginal d’une solution de décarbonation correspond à son coût marginal, c’est-à-dire le coût de la dernière unité produite, rapporté aux émissions qu’elle va permettre de réduire. Il s’exprime donc en euros par tonne d'émissions de CO2e réduites, ou €/tCO2e.

Ce concept est apparu dans les années 1990 et popularisé par McKinsey en 2007.

Prenons un exemple concret. Un industriel veut installer des panneaux solaires sur son toit pour réduire sa consommation d’électricité :

  • L’installation va lui coûter 80 000 €, amortie sur 20 ans soit 4 000 €/an
  • 200€ d’entretien, de nettoyage et de maintenance par an

Ce qui représente un coût total de 4 200 €/an.

  • Les émissions réduites sont estimées à 2 tonnes de CO2e par an.

Le coût d’abattement marginal de cette action de décarbonation est donc de 2 100 €/tCO2e.

Modélisation d'une action de réduction et représentation dans une MACC

Traduire visuellement l’impact carbone et financier d’un plan d’actions de décarbonation.

Au sein d’un plan d’action de décarbonation, certaines actions de réduction des émissions vont nécessiter d’effectuer des dépenses et donc avoir un coût “positif” pour l’entreprise là où d’autres, en changeant la manière de produire, la consommation d’énergie ou les sources et les quantités d’approvisionnement vont générer des économies immédiates pour l’entreprise et donc avoir un coût “négatif”.

Le coût d’abattement marginal est un bon indicateur permettant de hiérarchiser les actions de décarbonation entre elles en fonction de leur impact carbone et de leur impact financier, qu’il soit positif ou négatif. Il permet notamment d’identifier les actions susceptibles de maximiser les réductions d’émissions de gaz à effet de serre à niveau d’effort financier équivalent.

Après avoir calculé les coûts de chaque action, il est important de pouvoir les comparer visuellement. C’est là que la courbe des coûts marginaux d’abattement intervient.

Signification de la représentation des actions de réduction dans une MACC

Sur cette courbe, les différentes actions de décarbonation sont représentées sous forme de rectangle :

  • La largeur du rectangle en abscisse correspond aux émissions réduites, en tC02e.
  • La hauteur du rectangle en ordonnée correspond quant à elle au coût d’abattement marginal de l’action, en €/tC02e.

Comme nous l’avons vu certaines actions peuvent avoir un coût négatif, comme par exemple la réduction du gaspillage alimentaire. Pour une meilleure visualisation des actions sur la courbe, celles-ci sont généralement triées de gauche à droite en fonction de leur coût d’abattement marginal, des plus profitables financièrement à gauche aux plus coûteuses à droite.

Ainsi, la MACC permet donc de visualiser les actions à entreprendre en priorité pour respecter la trajectoire de réduction fixée en intégrant la dimension financière et pas seulement carbone :

  • Plus le rectangle d’une action est large plus l’action permettra de réduire l’empreinte carbone de l’entreprise.
  • Plus le rectangle est aplati, plus l’action est intéressante à mettre en œuvre pour décarboner son activité à moindre coût.
  • Plus la hauteur du rectangle d’une action est grande et vers le bas (à gauche du graphe) plus l’action représente des économies substantielles tout en ayant un impact de décarbonation.
  • Plus cette hauteur est grande et vers le haut (à droite du graphe), plus l’action sera coûteuse à déployer.

La MACC et le coût de la tonne de Carbone comme outil de prise de décision.

La MACC doit être actualisée régulièrement pour tenir compte de la variation des coûts et des actions déjà entreprises.

Dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone française, cet outil est utilisé notamment en comparant les coûts d’abattement à une Valeur Sociale du Carbone évité (VSC, en €/tCO2eq), qui correspond à l’effort que la société dans son ensemble est prête à engager pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre [1]. Cette valeur est sensiblement proche de la valeur d’une tonne de carbone sur le marché réglementaire, environ 80 €/tCO2e fin octobre 2022. Si l’action à un coût plus faible que cette VSC, il faut l’appliquer en priorité.

Un raisonnement similaire peut être appliqué dans une entreprise qui peut se fixer un prix interne du carbone et décider que toutes les actions au coût inférieur à ce prix doivent être déployées car à terme, l’entreprise en sortira gagnante. Cela sera encore plus pertinent lorsque le prix interne du carbone sera vraiment associé à des contraintes réglementaires et ce pour tout type d’entreprise.

Les limites de la MACC.

Bien qu’étant un outil d’aide à la décision très pratique, la MACC a ses limites. Par exemple, elle ne permet pas de distinguer les flux de liquidités nécessaires chaque année : l’action demande-t-elle un investissement initial important ou plutôt des coûts d’exploitation annuels élevés ? Elle ne prend pas non plus en compte la faisabilité technique et opérationnelle des actions.

Par ailleurs, la construction d’une MACC peut être laborieuse car il faut calculer à la fois le coût et l’impact des actions possibles, avec un coût qui peut varier dans le temps et dépendre des différentes entités d’une organisation.

S’appuyer sur une MACC aux données “fraîches” est cependant nécessaire pour garantir une bonne application d’un plan de décarbonation ambitieux.

Sources

1. Criqui P. (2021), Les coûts d’abattement. Partie 1 – Méthodologie, rapport de la commission sur les coûts d’abattement, France Stratégie, juin.

2. Quinet A. (2019), La valeur de l’action pour le climat. Une valeur tutélaire du carbone pour évaluer les investissements et les politiques publiques, rapport, France Stratégie, février.

3. CO2 : le marché européen du carbone en sept questions - https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/282323-co2-le-marche-du-carbone-dans-lunion-europeenne

4. Prix interne du carbone : une solution qui tombe à PIC pour les entreprises ? - https://www.institutmontaigne.org/publications/prix-interne-du-carbone-une-solution-qui-tombe-pic-pour-les-entreprises

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