Tout comprendre au prix du carbone interne pour les entreprises

Tout comprendre au prix du carbone interne pour les entreprises

Face à l’urgence et au durcissement des réglementations climatiques, de plus en plus d’entreprises se dotent de dispositifs de tarification interne du carbone. Quelles sont les bonnes pratiques et les avantages pour les entreprises ? Est-ce une solution viable pour décarboner son activité ?

Naal Narayanan

Naal Narayanan

Climate Content Manager

Mise à jour :
22/7/2024
Publication :
26/4/2023

Le prix du carbone, un levier d'accélération de la décarbonation.

Aujourd’hui les systèmes économiques sont principalement pilotés financièrement. C’est pourquoi, attribuer un coût financier à une tonne de CO2 émise, soit un prix du carbone, facilite l’adoption des enjeux climatiques par les acteurs économiques.

Il existe une grande variété de prix du carbone, mais ayant tous pour objectif d'accélérer la réduction des émissions de carbone. Certains prix du carbone sont dits “externes” aux entreprises, c'est-à-dire qu'ils sont imposés par les gouvernements dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre des territoires. D'autres prix du carbone sont qualifiés d' “internes” aux entreprises, car ils sont mis en place et appliqués de manière volontaire par les entreprises elles-mêmes.

Les États ont été les premiers à mettre en place des instruments de tarification externe du carbone sur le marché carbone. Aujourd’hui, il existe deux principaux outils de prix externe du carbone :

  • La taxe carbone. C'est un impôt direct et proportionnel aux quantités de gaz à effet de serre émises par les entreprises.
  • Le système de quotas d'émission. Ce système qui fixe une limite globale d'émission de GES dans une région donnée, distribue les droits d'émission aux différents acteurs et encadre l’échange de quotas entre ces derniers. Le système d'échange de quotas d'émission du marché européen (SEQE-UE) est le système de quotas carbone le plus étendu et avancé au monde. Notamment parce qu’il réduit déjà progressivement la quantité d'émissions de CO2 en abaissant au fil du temps le plafond des quotas disponibles.

La montée en puissance des systèmes de tarification externe du carbone et l’urgence climatique ont poussé de plus en plus d'entreprises à mettre en place des mécanismes de tarification du carbone plus ou moins similaires à leur propre échelle. En 2021, plus de 2 000 entreprises dans le monde utilisaient ou comptaient mettre en place un prix interne du carbone. Se fixer un ou plusieurs prix du carbone en interne est un fort levier de décarbonation et, à long terme, de compétitivité comme nous le verrons par la suite.

Les différents types de prix du carbone interne.

Le prix du carbone interne est un outil flexible au service de la décarbonation des entreprises ; il repose aujourd’hui sur le volontariat et s’adapte aux objectifs des entreprises. Trois grandes formes principales de prix du carbone interne aux entreprises peuvent être distinguées :

  • Le prix Directeur ou Shadow Price. Il attribue une valeur économique à l’empreinte carbone des décisions d’investissement ou d’achats des entreprises, sans pour autant générer de flux financiers concrets. C’est une valeur théorique permettant de comprendre l’impact qu’aurait un prix du carbone sur la stratégie et sur le calcul du taux de rentabilité interne (TRI) de l’entreprise. Par exemple, lors d’appels d’offres l’utilisation d’un prix directeur permet une notation plus complète des fournisseurs en intégrant dans la note financière les émissions carbone des fournisseurs.
  • Le prix Explicite ou Taxe Carbone interne. Ce prix lie directement les émissions de gaz à effet de serre due aux activités de l’entreprise à ses coûts opérationnels. En suivant ce prix du carbone, l'entreprise va s'auto-appliquer une taxe financière à hauteur des émissions de ses activités. L’objectif de cette taxe est généralement de constituer un fond destiné à financer des projets de maîtrise et de réduction des émissions de CO2. En augmentant volontairement ses OpEx, l'entreprise finance sa décarbonation directe à court terme et stimule l'innovation pour des solutions bas-carbone à long terme.
  • Le Prix implicite ou Coût réel de la décarbonation. Ce prix du carbone reflète le coût des actions et mesures qu’une entreprise met en œuvre pour réduire ses émissions carbone. Calculé a posteriori en fonction des actions et mesures de décarbonation effectivement prises par l’entreprise, il représente une mesure réelle des coûts de la transition bas carbone. Il permet notamment d'ajuster a posteriori les autres prix cités précédemment. Par exemple, lorsqu’une entreprise intègre dans sa politique d’achats des normes d’émissions maximales sur les véhicules de sa flotte d’entreprise, le prix du carbone n’est pas explicitement mentionné. Néanmoins l’introduction de cette norme peut conduire à augmenter les dépenses sur ce poste ; d’où le terme implicite.

Ces trois grands types de prix du carbone interne ne sont pas des catégories fixes et immuables. Chaque entreprise est libre de s’approprier le sujet et d’intégrer un ou plusieurs prix internes du carbone et de fixer une valeur différente à chacun des prix qu'elle adopte, selon ses besoins et ses enjeux.

Le choix des entreprises d'adopter différentes versions de prix du carbone interne peut dépendre des secteurs d'activité. Les secteurs très émetteurs, tels que celui de l'énergie, de la chimie et de la production de matériaux, préféreront généralement adopter uniquement un prix directeur car une taxe carbone interne entraînerait des transferts de fonds très importants. En revanche, les secteurs moins émetteurs, comme ceux de la finance et des services, pourront opter également pour une taxe carbone interne notamment afin de sensibiliser l'ensemble des activités en interne sur leur impact.

Pourquoi mettre en place un prix du carbone interne dans son entreprise ?

Mettre en place un prix interne du carbone présente cinq intérêts majeurs pour les entreprises :

  1. Accélérer la décarbonation des activités, en orientant les décisions vers les solutions ayant un impact CO2 moindre. En conciliant langages financier et climatique le prix interne du carbone permet une meilleure prise en considération des externalités environnementales négatives des activités de l'entreprise.
  2. Anticiper l'évolution des réglementations, des taxes carbones externes ou des prix du marché carbone, qui augmenteront au cours des prochaines décennies. En effet, les entreprises munies d’un prix interne du carbone sauront éviter d’investir dans des projets carbones susceptibles de devenir plus coûteux et non pérennes à l’avenir.
  3. Faciliter l’accès à des fonds et investissements bas carbone, en améliorant leurs scores ESG et leurs reportings extra-financiers ;
  4. Réduire ses coûts et identifier des opportunités de développement bas carbone, grâce à la nouvelle grille de lecture des activités et des flux qu’offre le prix du carbone.
  5. Accompagner le changement de comportement des collaborateurs en interne, en traduisant l’empreinte carbone des activités de l’entreprise en coût financier, plus facilement compréhensible de tous.

Les 3 critères à comprendre pour choisir le prix du carbone interne le plus adapté à son entreprise.

Les prix internes du carbone sont composés de trois composantes toutes indispensables à la bonne compréhension du sujet : le prix, le périmètre couvert, le niveau d’influence. C’est la combinaison de ces trois critères et des types de prix internes du carbone qui permet à chaque entreprise d’adopter le ou les prix internes du carbone qui lui correspondent. C’est pourquoi une bonne maîtrise de ces paramètres et catégories est nécessaire.

Première composante : le prix

Les entreprises adoptent généralement des prix internes du carbone qui leurs sont propres, en fonction de leur contexte, de leur organisation, de leur secteur d'activité et de leurs objectifs de réduction d'émissions de GES. Pour que l’implémentation d’un prix interne du carbone soit efficace, il faut qu’il soit bien ajusté :

  • un prix sous-estimé peut nuire à une entreprise au long terme, en réduisant sa capacité à évaluer les coûts futurs liés au carbone.
  • un prix surestimé peut nuire à la compétitivité de l’entreprise à court terme en la poussant à financer des projets trop ambitieux et au Taux de Rentabilité Interne (TRI) trop faible.

Cependant, même si un prix interne du carbone personnalisé est plus efficace à l'échelle de l'entreprise, il est à noter qu'un prix uniforme du carbone serait plus approprié à l'échelle des émissions mondiales. En effet, une tonne de carbone émise par une entreprise chinoise aura le même impact sur le climat qu’une tonne de carbone émise en Europe alors que le prix du carbone est actuellement 10 fois plus élevé en Europe qu'en Chine.

Deuxième composante : le périmètre couvert

Selon le CDP, dans 90% des cas, le prix interne du carbone ne couvre que les émissions directes de l'entreprise (scope 1).

Pourtant, les enjeux de transition climatique et de compétitivité des entreprises nécessitent de pouvoir prendre en compte les émissions indirectes liées à l'énergie (scope 2) et à sa chaîne de valeur (scope 3). En effet, comptabiliser les scopes 2 et 3, permet aux entreprises de renforcer leur chaîne de valeur, d'effectuer des économies et d'améliorer leur image de marque.

Troisième composante : l’influence du prix interne sur les décisions

Bien que le développement de cet outil repose sur un acte volontaire, il reste indispensable qu’il soit adopté par l’ensemble des niveaux décisionnaires d’une entreprise. En effet, si le prix interne du carbone n’est utilisé que par la direction RSE sa capacité à influencer durablement les décisions de l’entreprise sera quasi-nul.

Pour assurer une réelle transformation et décarbonation de l’entreprise, les directions concernées, notamment la direction financière et les collaborateurs des différentes filiales doivent s'approprier l'outil et l'utiliser concrètement dans leur processus d'analyse et de décision.

Comment mettre en place un prix du carbone en interne dans son organisation ?

Bien que ce soit un outil de réduction des émissions très efficace et flexible, la grande majorité des entreprises a encore du mal à mettre en place des mécanismes de tarification du carbone efficaces.

Néanmoins, les connaissances et bonnes pratiques se développent peu à peu, accélérant l’adoption de prix du carbone en interne par les entreprises. Les recommandations de l’Institut Montaigne, résultats de leur étude menée sur le sujet et résumé ci-dessous, sont un parfait exemple d'avancées dans le domaine.

Les 5 recommandations de l’Institut Montaigne pour faciliter l’implémentation d’un prix du carbone interne.

  1. Pour maximiser l’efficacité du prix interne du carbone, l’entreprise devra baser sa politique de tarification sur le prix de marché et intégrer une trajectoire de hausse du prix interne afin d’anticiper l’évolution des prix du marché.
  2. Intégrer les émissions liées au scope 3 dans le dispositif de tarification interne du carbone est une décision qui doit être prise avec les parties prenantes de l’entreprise : les fournisseurs, les clients et la société.
  3. Discuter avec la direction financière la place relative du prix du carbone vis-à-vis des différents outils de décarbonation mobilisés est une bonne première approche.
  4. Le travail de la Commission européenne sur la taxe et le prix du carbone est à surveiller et à étudier. Il s'agit d'un sujet clé de l'agenda européen, comme en témoigne l’entrée en application prochaine de la MACF, première taxe carbone aux frontières au niveau mondial.
  5. De même, les initiatives de mutualisation des données et hypothèses des différents acteurs économiques dans un esprit de “coopétitivité” sont à surveiller.

Quelques exemples concrets de prix du carbone interne pour s'inspirer.

En 2020 le CDP a observé en Europe une augmentation de 30% par rapport à 2019 des entreprises ayant implémenté ou prévu d’implémenter dans les 2 ans un prix interne du carbone. Cette tendance se confirme d’année en année et se répand à toutes les régions du monde, les multinationales étant en tête de proue.

Ci-dessous vous trouverez 4 exemples d’entreprises illustrant chacune des visions du prix interne du carbone différentes.

LVMH : le modèle de taxe carbone interne.

Dans le cadre de son programme LIFE, le groupe LVMH a créé un fonds carbone interne en novembre 2015 pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de ses Maisons.

Le fonds est financé par les contributions annuelles de chaque Maison, calculées en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre et du prix interne du carbone, qui est passé de 15€ la tonne de CO2 en 2015 à 30€ la tonne de CO2 en 2018.

Les projets financés visent à améliorer l'efficacité énergétique, la production d'énergies renouvelables et la comptabilité carbone. En 2018, le fonds a financé 112 projets et évité l'émission de près de 2 500 tonnes de CO2 équivalent par an.

Ben et Jerries : une taxe interne du carbone pour décarboner son scope 3.

La société de crème glacée Ben & Jerry's du groupe Unilever a instauré un prix explicite de 10 $ sur l’ensemble de sa chaîne de valeur. Toutes les émissions de GES émise entre la phase de production à la ferme et de gestion des déchets à la décharge sont couvertes par cette taxe carbone.

Les fonds récoltés sont par la suite utilisés pour financer des initiatives et stratégies de réduction des émissions de GES directes et indirectes.

En effet, 42% des émissions de la crème glacée de Ben & Jerry’s est imputable aux produits laitiers. Ainsi la société travaille avec les agriculteurs pour développer et mettre en place différentes stratégies de décarbonation, notamment des séparateurs de fumier qui transforment le méthane en litière pour les vaches.

Veolia : un prix directeur pour guider les décisions d’investissements.

La stratégie de Veolia consiste à introduire un prix du carbone directeur dans tous les espaces géographiques où les prix du carbone existent ou vont entrer en vigueur prochainement (Europe, Chine, Corée, USA…).
Ainsi, les unités commerciales des zones géographiques concernées réalisent des prévisions sur les prix futurs du carbone, ce qui enrichit les matrices de risque utilisées lors de la construction des modèles commerciaux. Cette tarification interne du carbone, lancée en 2015, a rapidement été adoptée et a suscité un fort engagement en interne, grâce à l'appui du PDG et des actionnaires.

Ce prix virtuel qui devrait atteindre les 31€/tCO2e à l’horizon 2030 permet d’intégrer les émissions de CO2 dans les décisions d’investissement.

La SNCF : un prix du carbone pour noter ses fournisseurs.

80% des émissions de gaz à effet de serre de la SNCF sont imputables à ses achats, ainsi le groupe a décidé d’appliquer un prix directeur à la notation de ses fournisseurs pour réduire à terme les émissions de sa Supply Chain.

La SNCF ambitionne d’introduire progressivement jusqu’en 2025 des critères de notation liés au carbone dans tous ses appels d’offres. Cette notation reposera notamment sur le prix interne du carbone du groupe SNCF fixé en 2023 à 100 euros par tonne de CO2 équivalent.

L’idée est de « bonusser » ou de « malusser » les offres fournisseurs en fonction de leurs émissions de CO2équivalent.

Ces différents exemples d’implémentation du prix du carbone, illustrent bien la diversité et l’adaptabilité de ce mécanisme de compétitivité et de lutte contre le réchauffement climatique.

Traace facilite la définition de prix du carbone interne et le pilotage financier de la décarbonation pour les entreprises.

Chez Traace nous sommes convaincus que la réduction des émissions des entreprises ne se fera pas sans un pilotage financier de la stratégie climat. Notre plateforme répond à cette problématique en permettant aux entreprises de modéliser finement les flux CapEx & OpEx ainsi que les durées d'amortissements des leviers de décarbonation.

Cette modélisation financière du plan de décarbonation permet :

  • d'optimiser la collaboration entre les équipes climat et les équipes finance en basant la discussion sur des données fiables et précises.
  • de définir un prix du carbone en consolidant son Cash Flow avec ses prévisions de réductions d’émissions carbone.
  • de facilement prioriser son plan d'action de décarbonation en fonction à la fois des prévisions d'émissions de carbone et des prévisions financières de celui-ci. Toute action ayant des coûts de décarbonation inférieure au prix de carbone que se fixe l'entreprise sera facilement identifiables et "priorisable".

Si vous souhaitez accélérer votre décarbonation en la pilotant financièrement, nous vous montrons comment le faire ici : -> demander une démo

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