Le besoin grandissant d’informations sur l’impact environnemental des entreprises et les actions qu’elles mènent en ce sens a entraîné une multiplication des formats de reporting extra-financiers à travers le monde. Bien que louables, ces nombreuses initiatives ne jouent pas toujours en faveur de la transparence de l’information, empêchant les parties prenantes d’avoir un cadre d’analyse clair et de comparer les résultats d’un acteur à l’autre.
C’est en partant de ce constat que la fondation IFRS, connue pour ses normes comptables, a annoncé la création de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), un organisme chargé de développer un référentiel international pour les reportings extra-financiers des entreprises, principalement destiné aux investisseurs et acteurs des marchés financiers.
Dans un monde confronté à des défis environnementaux et sociaux sans précédent, la nécessité d'une action concertée pour promouvoir la durabilité est devenue une priorité mondiale. Dans ce contexte, l'International Sustainability Standards Board (ISSB) émerge comme un acteur clé dans l'élaboration de normes mondiales visant à guider les entreprises vers des pratiques plus durables et responsables.
Qu’est-ce que l’ISSB (International Sustainability Standards Board) ?
L'International Sustainability Standards Board (ISSB) est une initiative mondiale visant à développer des normes de reporting extra-financier pour aider les entreprises à communiquer de manière transparente sur leur performance en matière de durabilité. Lancée sous l'égide de l'International Financial Reporting Standards Foundation (IFRS) à l’occasion de la COP26 de Glasgow, l'ISSB vise à combler le fossé actuel en matière de normes de durabilité et à fournir des lignes directrices claires et cohérentes pour les entreprises du monde entier.
L’ISSB s’est fixé quatre grands objectifs :
- élaborer un ensemble de normes ayant vocation à devenir le référentiel mondial en matière de divulgation d’informations sur le développement durable
- répondre aux besoins d’information des investisseurs
- permettre aux entreprises de communiquer de manière claire et exhaustive auprès des marchés financiers
- favoriser l’interopérabilité entre ses normes et celles spécifiques à certains pays, groupes de pays ou parties prenantes
Le Conseil d’administration de l’ISSB est composé de 14 membres avec des expertises et parcours professionnels variés. Depuis janvier 2022, ce bureau est présidé par Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone.
Pour mener à bien sa mission, l’ISSB s’est appuyé sur le travail déjà mené par différents organismes et groupement d’investisseurs parmi lesquels:
- la Task Force for Climate-related Financial Disclosures (TCFD), organe du Conseil de Stabilité Financière
- la Global Reporting Initiative (GRI)
- les normes SASB (Sustainability Accounting Standards Board) pour ce qui est des normes sectorielles
- la CDSB (Climate Disclosure Standards Board)
- La VRF (Value Reporting Foundation)
Ces trois dernières organisations ont par ailleurs été intégrées au sein de la fondation IFRS dans le cadre de la mise en place de l’ISSB.
Les normes ISSB
L’ISSB a dévoilé en juin 2023 deux ensembles de normes, les IFRS-S1 et IFRS-2 qui sont entrées en vigueur dès janvier 2024.
De nouvelles normes sont en cours de développement et devraient permettre d’élargir le champ d’application de l’ISSB à de nouveaux indicateurs ESG.
L’IFRS-S1 - Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité
Cet IFRS définit la méthodologie que doit suivre une entreprise pour identifier et divulguer les informations concernant les risques et opportunités liées au développement durable sur ses activités.
Il s’agit de mener une analyse de matérialité financière permettant d’estimer l’impact que le développement durable aura sur les flux de trésorerie de l’entreprise, son accès à de nouveaux financements ou les coûts en capitaux à court, moyen et long terme.
Dans le cadre de cet IFRS, l’entreprise devra préciser :
- Les mécanismes de gouvernance, les contrôles et les procédures mis en place pour surveiller, gérer et superviser les risques et opportunités liés aux enjeux de durabilité
- La stratégie adoptée pour gérer ces risques et opportunités
- La méthodologie appliquée pour identifier, évaluer, hiérarchiser et surveiller ces risques et opportunités
- Les indicateurs et cibles qu’elle a défini ou que la loi la contraint à atteindre et ses performances à date dans l’atteinte de ces objectifs
L’IFRS-S2 - Informations à fournir en lien avec les changements climatiques
Cet IFRS, sur le même modèle que l’IFRS-S1 s’intéresse cette fois aux sujets liés directement au changement climatique.
Dans la même veine, l’entreprise devra fournir une analyse de l’impact qu’aura potentiellement le changement climatique sur ses flux de trésorerie de l’entreprise, son accès à de nouveaux financements ou les coûts en capitaux à court, moyen et long terme.
Cette analyse doit prendre en compte les risques et opportunités liés au changement climatique, incluant à la fois les risques physiques auxquels l’entreprise est soumise ainsi que les risques de transition dans le cadre d’une adaptation de son fonctionnement aux conséquences du changement climatique.
Tout comme pour l’IFRS-S1, elle doit préciser des éléments sur :
- Ses mécanismes de gouvernance
- La stratégie adoptée pour gérer les risques et opportunités liés au climat
- Les processus de gestion de ces risques et opportunités
- Les indicateurs choisis et objectifs à atteindre ainsi ses progrès en la matière
Elle devra réaliser dans le cadre de cet IFRS un bilan de ses émissions de gaz à effet de serre sur les Scopes 1, 2 et 3 de ses activités, idéalement suivant la méthode définie par le GHG Protocol. Enfin elle devra préciser ses objectifs de réduction des émissions de GES, la temporalité dans laquelle s’inscrit l’atteinte de ces objectifs et s’il s’agit d’objectifs absolus ou en intensité.
Elle devra également indiquer :
- si la rémunération du dirigeant de la société est liée de quelconque manière à la politique climatique de l’entreprise
- si un prix interne du carbone a été mis en place au sein de la structure, son montant et la manière dont il est appliqué dans le processus décisionnel
- si elle fait appel ou prévoit d’intégrer dans sa stratégie un mécanisme de compensation carbone, le type de crédit carbone concerné et le processus de validation du programme d’émission par un tiers indépendant
Les normes sectorielles SASB
En s’appuyant sur le travail préalablement mené par le Sustainability Accounting Standards Board (SASB), l’ISSB a intégré des normes sectorielles spécifiques. Ces normes couvrent actuellement 77 secteurs d’activités dont les enjeux financiers face au développement durable sont considérés comme majeurs.
Les secteurs concernés sont répartis dans ces catégories :
- Biens de consommation (7 industries)
- Exploitation minière et traitement des minerais (8 industries)
- Données financières (7 industries)
- Aliments et boissons (8 industries)
- Santé (6 industries)
- Infrastructures (8 industries)
- Ressources renouvelables et énergies alternatives (6 industries)
- Transformation des ressources (5 industries)
- Services (7 industries)
- Technologie et communication (6 industries)
- Transport (9 industries)
Ces normes doivent répondre au besoin des investisseurs de disposer à la fois d’informations intersectorielles et spécifiques à certains secteurs en fonction de leur niveau d’exposition aux enjeux de durabilité. Elles permettent donc de compléter les analyses menées dans le cadre des IFRS-S.
Quel est l’impact de l’ISSB ?
Si l’ISSB cible principalement les investisseurs, ces normes internationales ont un impact beaucoup plus large, touchant à la fois les entreprises et leurs parties prenantes.
Pour les investisseurs et marchés financiers
En s'efforçant de développer des normes mondiales cohérentes pour le reporting de durabilité, l’ISSB facilite la comparabilité et la transparence des informations divulguées auprès des marchés financiers.
Les effets connexes sont donc :
- une meilleure prise de décision par les investisseurs
- une meilleure allocation des capitaux vers les entreprises durables ou menant des efforts pour lutter contre le changement climatique
- le développement de nouveaux produits financiers “durables” ayant vocation à financer ces même entreprises
Pour les entreprises
Si, pour les entreprises, l’adoption des normes de l’ISSB peut s’accompagner de coûts de mise en œuvre, à long terme, cette démarche s’avérera bénéfique.
L’ISSB encourage la prise en compte des considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans les décisions commerciales. Ainsi, en intégrant la durabilité dans leur mode de Gouvernance, ces entreprises pourront faire preuve de davantage de résilience face aux conséquences du changement climatique et disposeront des clés leur permettant de mettre en place une stratégie ESG efficiente.
En fournissant des informations claires et fiables sur la performance en matière de durabilité, l'ISSB permet aux entreprises de renforcer la confiance des investisseurs, des consommateurs et de leurs autres parties prenantes.
C’est enfin, une manière efficace de se démarquer sur le marché face à d’éventuels concurrents moins enclins à divulguer de l’information sur les critères ESG.
Pour la société
Les normes ISSB contribuent directement à la transition vers une économie plus durable. A la fois en incitant les entreprises à agir concrètement et les investisseurs à financer les acteurs économiques s’étant engagés dans ce processus.
Elles permettent par ailleurs une prise de conscience plus forte des enjeux environnementaux et sociaux auxquels la société dans son ensemble est confrontée.
ISSB et CSRD : différences et points communs
Malgré quelques divergences, les standards portés par l’IFRS d’un côté et l’EFRAG partagent un objectif commun et ont donc tendance à converger tant sur le fond que sur la forme. Leur principale différence concerne l’analyse de matérialité.
Matérialité financière VS double matérialité
Si les deux référentiels ont intégré une analyse de matérialité en préambule de la divulgation d’informations, l’ISSB a choisi de se concentrer sur l’unique matérialité financière ou matérialité simple. Il s’agit donc d’estimer l’impact qu’aura le changement climatique sur les activités de l’entreprise, en mettant l’accent sur les conséquences financières que cela représente, en matière de risques et d’opportunités. Une approche régulièrement critiquée, car impliquant que les acteurs économiques ne seraient capables d'agir qu’au seul prisme de potentielles contraintes ou opportunités financières.
Dans la CSRD, l’EFRAG a choisi de demander aux entreprises de réaliser une analyse de double matérialité. Il s’agit donc de reprendre le concept de matérialité financière mais d’y ajouter la matérialité d’impact. L’entreprise ne devra donc pas seulement réaliser une estimation des conséquences financières du changement climatique sur ses activités mais également estimer l’impact qu’auront ses activités ou sa transition vers un modèle durable sur les différents indicateurs ESG. Ceci inclut donc l’environnement au sens large (émissions de gaz à effet de serre, pollution, biodiversité, ressources en eau…) ainsi que les dimensions sociales et sociétales (impact sur les fournisseurs, les communautés locales…).
Quelle interopérabilité entre les ESRS et les IFRS-S ?
Si la définition de “matérialité” diffère d’un standard de reporting à l’autre, la CSRD et l’ISSB conservent de nombreux points de convergence.
Pour réduire le risque de double-reporting auquel certaines entreprises pourraient se retrouver soumises, l’EFRAG et l’ISSB ont travaillé de concert pour assurer un haut degré d’interopérabilité entre leurs deux ensembles de normes.
La norme IFRS-S1 partage ainsi de nombreux points communs avec les ESRS 1 et ESRS 2 correspondant aux critères généraux de la CSRD.
Concernant l’IFRS-S2, il est à mettre en parallèle avec l’ESRS E1 dédié au changement climatique. La plupart des datapoints demandés dans le cadre de l’ISSB se retrouvent ainsi dans les rapports CSRD.
L’ESRS E1 reste cependant à ce jour plus complet que son homologue de l’ISSB, notamment concernant les actions entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique ainsi que les questions relatives à la consommation d’énergie et au mix énergétique.
Par ailleurs, contrairement à l’IFRS-S2, l’ESRS E1 ne prend pas en compte les crédits carbone comme un moyen d’atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Afin d’y voir plus clair, l’EFRAG a publié un tableau de correspondance entre les deux standards de reporting extra-financier permettant d’identifier leurs points de convergence.
L’application de l’ISSB à travers le monde
La publication des normes IFRS-S étant récente, leur déploiement est encore en cours au sein de nombreux pays.
Ces normes de durabilité ont cependant déjà été adoptées par de nombreux pays parmi lesquels le Royaume-Uni, le Brésil, le Costa-Rica, le Sri Lanka, le Nigéria et la Turquie.
D’autres pays sont en train de mener des consultations visant à leur adoption. C’est le cas du Canada, du Japon ou encore de Singapour.
Conclusion
L’ISSB s’est rapidement imposé comme un acteur majeur dans la régulation des reportings de durabilité. En se fixant pour objectif d’harmoniser les normes de divulgation d’information extra-financières des entreprises à travers le monde, il permettra aux entreprises de faire preuve de transparence et d’agir concrètement pour le climat. Ces normes ont ainsi le potentiel de transformer les marchés financiers et l’économie mondiale.
Actuellement concentré sur les indicateurs climatiques, la fondation IFRS a indiqué travailler sur de nouvelles normes qui, à l’instar de la CSRD, pourront s’appliquer aux autres indicateurs ESG.
C’est maintenant aux entreprises et investisseurs de se préparer à l’adoption de ces normes qui deviendront probablement la référence des rapports extra-financiers dans de nombreux pays comme l’est la CSRD au sein de l’Union européenne.
Sources :
- “La double matérialité perd la bataille de la communication face à l’ISSB d’Emmanuel Faber”, Anne-Catherine Husson-Traore, Novethic, 03/07/2023
- “IFRS S1 General Requirements for Disclosure of Sustainability-related Financial Information”, IFRS Foundation, Juin 2023
- “IFRS S2 Climate-related Disclosures”, Juin 2023
- “L’ISSB publie IFRS S1 « Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité »”, IAS Plus (Deloitte), 26/06/2023
- “L’ISSB publie la norme IFRS S2 « Informations à fournir sur les changements climatiques »”, IAS Plus (Deloitte), 26/06/2023
- “L’International Sustainability Standards Board (ISSB)”, Julien Catanese Aubier, Compta Online, 18/06/2023
- “SASB: your pathway to ISSB”, SASB Standards
- “CSRD contre ISSB : le seul prisme financier est un leurre”, Fabrice Bonnifet (C3D), L’opinion, 06/11/2023
- “IFRS, ISSB, SASB, VRF: Friends and Family…”, Les Ateliers du Futur, 30/12/2022
- “Emmanuel Faber, président de l’ISSB”, Séverine Leboucher, L’Actuariel, 21/07/2022